Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le Grand-Esprit a reçu l’âme d’un brave, dit Rayon-Brûlant ; son corps est à l’abri des outrages des chiens apaches. Marchons. »

Le canot sous une impulsion plus rapide, traça un large sillon et effaça le bouillonnement des eaux au-dessus de la tombe humide à laquelle le pieux dépôt venait d’être confié.

Après un moment de profond silence :

« Comanche, dit Bois-Rosé au jeune chef, passez-moi une de ces branches allumées ; j’ai besoin de m’assurer que mes yeux ne me trompent pas. Il me semble voir flotter derrière nous plus d’arbres que nous n’en avons évités. »

Rayon-Brûlant prit dans le brasier un tison ardent et le tendit au Canadien, qui se tourna pour jeter un regard sur la surface du fleuve à l’arrière du canot.

Un soupçon parut frapper le coureur des bois.

« Par tous les saints de la légende ! s’écria-t-il, il est impossible que nous ayons pu traverser la forêt qui flotte derrière nous. C’est moi qui vous le dis, des mains indiennes ont seules pu encombrer ainsi le cours du fleuve. Ces arbres n’ont jamais été devant le canot qui nous porte. »

À quelque distance, en effet, derrière l’embarcation, la rivière semblait littéralement hérissée de branches et de troncs d’arbres qu’on voyait à la clarté de la flamme.

« C’est étrange ! ajouta Gayferos.

– Non, ce n’est pas étrange pour un homme qui connaît toutes les ruses dont les Indiens sont capables, répondit Bois-Rosé : demandez plutôt à Pepe. »

Pepe examinait aussi le cours de la rivière à l’arrière du canot, et, comme à Bois-Rosé, il lui sembla matériellement impossible que leur fragile embarcation eût pu, sans se déchirer, traverser cette masse flottante de troncs d’arbres et de branchages entremêlés.

« Je suis de votre avis, s’écria l’Espagnol, ce sont les