Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/362

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un frémissement de feuille, imperceptible même comme celui que fait entendre l’iguane en se jouant dans un rayon de la lune sur la mousse, pas un craquement de buissons ne vint se mêler aux soupirs de la brise de nuit.

Les trois chasseurs attendirent au milieu du plus profond silence le retour de leurs alliés, et Bois-Rosé, appuyé contre le tronc moussu d’un hêtre, l’esprit agité de pensées mélancoliques, se garda bien de troubler le calme en harmonie avec sa tristesse. Un rayon de la lune tombait sur sa figure et laissait voir sur sa rude physionomie l’empreinte des soucis dont il était rongé depuis la perte de Fabian. Le Canadien calculait avec angoisses toutes les chances fatales qui semblaient se multiplier sous ses pas.

Le chasseur espagnol se rapprocha de lui, et d’une voix qu’il mit à l’unisson de la faible brise dont le souffle agitait le feuillage des arbres :

« Main-Rouge et Sang-Mêlé n’ont qu’à bien se tenir sur leurs gardes, dit-il ; car ce jeune gaillard comanche est un ennemi redoutable qui, en supposant même qu’il n’eût pas pour alliés deux chasseurs dont l’expérience et le courage ne sont pas à dédaigner, j’ose le dire, leur donnera du fil à retordre. Vous me direz à cela que les deux chasseurs en question ont déjà succombé deux fois devant ces damnés pirates des Prairies ; mais, corbleu !…

– Je ne vous dirai pas cela, Pepe ; le sort des armes est changeant, et, quelque terribles que puissent être les deux hommes que vous désignez, je ne craindrai jamais de me mesurer de nouveau avec eux. Si nous n’avions à tirer du métis qu’une vengeance personnelle dont l’échéance ne fût pas à une heure près, vous me verriez les suivre à la piste des mois entiers sans faiblir ; mais les jours de Fabian, que dis-je, ses jours ? ses minutes sont comptées, et je crains d’arriver trop tard. Cette idée est affreuse, mon pauvre Pepe !