Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/391

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La perspective d’un affreux supplice faisait préférer à Fabian une mort prompte aux tortures dont il se savait menacé.

« Je vous dirai qui vous retient, reprit-il avec assurance : c’est la crainte de l’Oiseau-Noir, qui a fait de vous ses chiens de chasse, et qui vous a lâchés après trois hommes qui l’ont combattu avec avantage, lui et ses vingt guerriers, pendant presque tout un jour et toute une nuit. »

Peut-être ces mots, que portèrent à son comble la rage du vieux Main Rouge, eussent-ils été les derniers qu’eût proférés Fabian, si le métis n’eût retenu la main de son père prête à le frapper.

« Le jeune guerrier du Sud a peur du poteau des supplices, dit Sang-Mêlé, et il insulte ses vainqueurs pour s’épargner de longs tourments ; mais il changera de langage dans trois jours.

– Un blanc peut mourir comme un Indien, » reprit Fabian.

Après cette réponse, le jeune homme ferma les yeux pour ne plus voir les odieuses figures des deux bandits, qui s’entretenaient vivement en anglais sans qu’il les comprît.

L’orage continuait avec toute sa violence, et les éclats de la foudre se succédaient sans interruption. Le canot d’écorce, léger comme la feuille sèche qui voyage sur l’aile du vent, glissait sur la surface de l’eau, emportant le prisonnier loin de ses deux protecteurs. Fabian, étendu au fond de la barque, le visage baigné par l’eau du ciel, ses vêtements trempés, collés à son corps, pensait avec angoisse à la douleur du Canadien, et parfois aussi un vague espoir venait sourire à ses pensées, jusqu’au moment où, en rouvrant les yeux, il apercevait, à la lueur sinistre des éclairs, la physionomie farouche des deux forbans et les lieux désolés et sombres qu’il traversait.