Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/393

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dres pour leur repas du matin, les trois compagnons reprirent leur sommeil autour du feu. Quand le rôti fut cuit à point, les dormeurs s’éveillèrent et se mirent à manger. Le soleil était levé et brillait sur un ciel pur qui n’avait conservé aucune trace du terrible orage de la veille.

Le vieux renégat fut le premier à s’occuper du prisonnier avec une sollicitude qui trahissait la rancune féroce qu’il gardait des paroles de Fabian.

« Que pensera l’Oiseau-Noir, dit-il à Sang-Mêlé, quand vous lui livrerez un captif à moitié mort de faim et de souffrances de tout genre ? Quelle figure, quelle contenance voulez-vous que ce jeune vagabond puisse faire au poteau, s’il n’a pas la force de se soutenir ?

– Il souffrira moins longtemps, répondit indifféremment le métis ; que m’importe !

– Eh ! il m’importe à moi ! s’écria le féroce Américain ; je veux qu’il souffre longtemps ; je veux voir sa chair frémir et son cœur s’affaiblir ; je veux l’entendre demander grâce et pouvoir lui dire à son tour qu’il n’est qu’un lâche.

– Faites ce que vous voudrez et laissez-moi tranquille, » reprit impatiemment le métis, dont l’amour peut-être en ce moment amollissait un peu l’âme impitoyable.

Main-Rouge prit en main un morceau de venaison et s’achemina vers le canot amarré à peu de distance du foyer.

« Le prisonnier a-t-il faim ? dit-il.

– Oui, répondit Fabian avec fermeté ; mais je ne mangerai pas, et d’ici à demain vous n’aurez plus que le cadavre de votre prisonnier à jeter à l’eau.

– Le prisonnier n’est qu’un faux brave, fit Main-Rouge désappointé.

– Et vous un lâche véritable. Taisez-vous ; votre voix est odieuse à mes oreilles comme l’odeur du putois à mes narines.