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blaient presque la distance jusqu’à la Fourche-Rouge.

Le renégat et Sang-Mêlé prirent en main les avirons, et lorsqu’ils aperçurent de loin, au bout d’un assez court espace de temps, la configuration bien connue de l’Île-aux-Buffles, ils dirigèrent l’embarcation de façon à en ranger les bords de très-près.

Les deux bandits purent donc examiner en passant la petite clairière qui recélait le fruit de leurs rapines, et virent qu’elle était intacte et telle qu’ils l’avaient laissée trois jours auparavant. Certes, si quelqu’un eût prédit aux deux pirates des Prairies que vingt-quatre heures plus tard cette cache mystérieuse allait être éventée, mise à jour ; que les marchandises précieuses, les armes qu’elle contenait devaient, les unes être englouties dans le fleuve, les autres enlevées et tournées contre eux par les deux chasseurs qu’ils supposaient livrés aux angoisses de la faim, ce prophète de malheur eût probablement reçu une balle dans le crâne ou un coup de couteau dans la gorge ; mais à coup sûr sa prédiction n’eût trouvé que des incrédules. Du moment que le métis se fut assuré de l’intégrité de la cache, il gouverna vers la rive opposée. Un sentiment de défiance semblait l’avertir de ne pas traverser la passe couverte d’arbres où nous avons vu Rayon-Brulant et ses alliés s’engager sous la voûte de feuillage ; et il aborda dans un endroit où d’épais taillis ou de hautes herbes lui permirent de cacher le canot d’écorce, qu’il abandonna.

Sang-Mêlé savait qu’il était arrivé sur le territoire de chasse des Lipanès, alliés de la tribu des Gilenos, à laquelle appartenait l’Oiseau-Noir, et qu’il pouvait voyager en toute sécurité depuis l’Île-aux-Buffles jusqu’à la Fourche-Rouge. Il n’eut pas marché en effet quelques heures, qu’il rencontra une dizaine de rôdeurs lipanès, qui ne demandèrent pas mieux que de se joindre à lui dès qu’ils surent qu’il s’agissait d’attaquer des chasseurs blancs et de leur enlever les chevaux qu’ils auraient pris.