Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait dû le faire la distance qui la séparait de la Fourche-Rouge. L’un des maraudeurs lipanès portait avec lui une outre pleine de mescal, liqueur tirée de la racine de l’aloës, que distillent les Indiens qui de là ont pris le nom de Mescaleros. Des scènes de confusion et d’ivresse, en ralentissant la marche de l’embarcation, faillirent plus d’une fois ensanglanter le cours du voyage.

L’assoupissement ne tarda pas à succéder à l’ivresse furieuse, et pendant une partie de la nuit la pirogue, sous l’impulsion de ses rameurs lourds et engourdis, dévia mainte et mainte fois de sa route.

Ce ne fut qu’au soleil levant que la troupe de bandits put enfin gagner l’embranchement de la Rivière-Rouge, appelé par abréviation la Fourche-Rouge.



CHAPITRE XXX

LA FOURCHE-ROUGE.


La vallée de la Fourche-Rouge présente un aspect imposant et sauvage. Une double chaîne de hautes montagnes la borde de deux côtés. Au nord, c’est la grande Cordillère avec ses dentelures bleues, ses pics élevés, dont les sommets aigus sont tantôt couronnés de nuages, tantôt ceints d’un diadème de neiges éblouissantes, que fondent, au retour de la belle saison, les brises chaudes qui s’élèvent du sein de la vallée. Au sud, l’œil parcourt une autre chaîne de montagnes plus basses, mais dont les flancs déchirés laissent voir des ravins béants et des rochers de granit dont la teinte bleuâtre adoucit à peine dans l’éloignement les âpres contours.

Dix lieues environ séparent ces deux sierras ; au milieu d’elles coulent, de l’ouest à l’est, deux bras de la