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Rivière-Rouge, l’un presque toujours desséché, l’autre baignant de ses flots de hautes herbes qui couvrent l’une de ses rives et semblent un océan houleux de verdure dont les vagues viennent se briser à la lisière de la vaste forêt du Lac-aux-Bisons.

L’espace compris entre les deux bras de la rivière est un terrain humide et marécageux, noyé presque par tout, pendant la saison des pluies, par les débordements du bras principal.

Ici des lagunes vaseuses et profondes étalent leurs eaux dormantes sous une couche de plantes aquatiques aux larges feuilles ; là de petites mares, remplies d’une eau moins trouble et entourées d’épaisses saussaies, jettent quelques pâles reflets du soleil ; enfin, dans la partie plus sèche, des bois de cotonniers aux troncs serrés, aux rameaux entrelacés, présentent des massifs touffus où la hache de l’Indien ou du chasseur peut seule lui ouvrir un étroit passage.

L’homme n’apparaît que bien rarement dans cette vallée solitaire et silencieuse. Parfois seulement, sur le sommet des rochers de la sierra du sud, un trappeur montagnard, ses trappes et sa longue carabine sur l’épaule, se montre un instant pour reconnaître le cours du fleuve et jeter un coup d’œil sur les huttes des castors ; parfois aussi l’Indien, dans son canot d’écorce, glisse sans bruit sur la rivière en cherchant le trappeur ou la trace des bisons. À l’exception du vent qui souffle constamment dans les hautes herbes ou qui gémit dans les oseraies, peu de rumeurs troublent le calme de la vallée de la Fourche-Rouge. Ce n’est qu’à de longs intervalles qu’un arbre rongé par la dent du castor s’affaisse avec un craquement aigu, que les mugissements du bison s’y font entendre, ou que les oiseaux carnassiers, voguant sur le cadavre flottant d’un buffle charrié par les eaux, jettent dans le silence de la solitude un lugubre cri de joie pour célébrer leur dégoûtant festin.