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Nous aimons à préciser les lieux pour n’y pas laisser le lecteur errer à l’aventure, et nous répéterons ce que nous avons dit en commençant cette dernière partie de notre récit, c’est-à-dire que, depuis la lisière de la forêt dont les ombrages épais cachent le Lac-aux-Bisons, jusqu’à la rive droite du fleuve, où vient d’aborder enfin la bande de maraudeurs indiens, et où celle de l’Oiseau-Noir ne va pas tarder à l’y rejoindre, il y a environ une lieue de distance, et que le terrain ne présente à la vue que de hautes herbes jaunâtres qu’agite incessamment la brise. Par delà s’étendent, depuis la rive gauche, les terrains marécageux dont nous venons de faire mention.

Les chasseurs et les trappeurs se racontent encore aujourd’hui les scènes sanglantes que vit s’accomplir la vallée de la Fourche-Rouge ; aussi avons-nous cru devoir en décrire minutieusement le théâtre.

Le mescal fumeux obscurcissait encore les yeux du vieux renégat américain lorsque la pirogue aborda dans une petite crique de la rivière. Sang-Mêlé, cette nuit-là, faisant trêve à ses habitudes d’intempérance, seul parmi ses compagnons, s’était abstenu de participer à la débauche nocturne. Il avait senti que tout son sang froid lui serait nécessaire pour réaliser ses projets de rapt et de pillage. Quand le père et le fils descendirent à terre, la colère du métis contre Main-Rouge grondait encore dans son cœur, quoiqu’il ne se fût pas fait faute de l’avoir largement épanchée.

« Voyons, lui dit Sang-Mêlé d’un ton brusque, si vous êtes bon à autre chose qu’à vous enivrer d’eau de feu comme un nouvel engagé, repassez l’eau avec le prisonnier, que vous déposerez, jusqu’à mon retour, dans un de ces fourrés de cotonniers, en vous rappelant que vous en répondez à l’Oiseau-Noir.

– Ah ! oui, répondit Main-Rouge avec un sourire stupidement ironique, la colombe du Lac-aux-Bisons… »