Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/403

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Tout à coup un nuage de contrariété violente obscurcit la sombre physionomie du métis. Une demi-douzaine de chevaux sellés semblaient indiquer un prochain départ. Trois de ces chevaux, par la richesse de leurs harnachements, où étaient prodigués les ornements d’argent massif, le velours et les broderies d’or et de soie, annonçaient qu’ils étaient destinés aux maîtres. La figure du métis ne tarda pas cependant à se rasséréner. La tente de soie de doña Rosario et celle de l’hacendero étaient toujours debout ; les mules de charge paissaient tranquillement à quelque distance, et les cantines de voyage, les bâts et tous les bagages étaient rangés avec soin non loin des tentes.

Ce n’était donc probablement qu’une promenade dans les environs ou sur les bords de la rivière, peut-être quelque chasse au cerf, dont les blancs allaient prendre la distraction.

Bientôt, en effet, à la voix de son père botté, éperonné et prêt à monter à cheval, Rosarita apparut sur le seuil de sa petite tente couleur d’azur, plus séduisante mille fois que les souvenirs du métis ne la lui avaient retracée pendant la semaine qui venait de s’écouler. C’est qu’à la beauté et à la pureté de ses traits la jeune fille joignait encore cette rare et indescriptible harmonie dont la vue se délecte avec bonheur, mais dont la mémoire ne retrace jamais l’ensemble que d’une manière incomplète, semblable à ces parfums exquis qu’on savoure à longs traits, mais dont l’odorat, quand il n’en est plus frappé, ne peut retenir les délicates émanations. C’est cette beauté insaisissable qui éclate, qui rayonne de toute part autour de certains visages, et que le pinceau ne peut reproduire parce qu’elle est toujours nouvelle. Cette impuissance du pinceau à rendre ce charme magnétique explique pourquoi nous restons froids devant les portraits de certaines femmes célèbres par leur beauté : c’est que le peintre peut bien