Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Seigneur don Augustin, s’écria Francisco à l’hacendero après quelques moments de marche dans le sentier pratiqué par les buffles, il pourrait bien y avoir là-bas un bison ou un cheval sauvage. On voit les herbes s’agiter comme sous le poitrail d’un de ces animaux. »

En effet, à quelque distance de la cavalcade, une ligne onduleuse courait à travers les hautes tiges, comme si un cheval ou un bison les eût courbées en s’enfuyant.

L’animal, si c’en était un, devait couper à angle droit le chemin que suivait la cavalcade ; car la ligne qu’il traçait dans l’herbe décrivait un demi-cercle en avant des chevaux, et ce cercle se rapprochait du sentier. Tout à coup le sillon mobile qui se creusait au sommet des herbes s’effaça, et l’on ne vit plus que leurs moelleuses et régulières ondulations sous le souffle du vent.

« C’est quelque daim effarouché par notre présence, dit l’hacendero ; car ces herbes ne sont pas assez hautes pour cacher tout à fait les bonds d’un cheval sauvage ou d’un bison. »

La cavalcade passa outre, et ce ne fut que longtemps après ce petit incident qu’un nouveau sillon s’ouvrit encore au sommet des herbes, dans la direction de l’endroit où étaient embusqués les Indiens placés en sentinelle par le métis. Les serviteurs de don Augustin étaient trop éloignés maintenant pour distinguer Sang-Mêlé, dont la haute taille s’était redressée, et qui montrait parfois le mouchoir dont sa tête était couverte.

La cavalcade marchait doucement, comme il arrive toujours au matin, quand le cœur semble s’épanouir au souffle d’une brise chargée de tous les parfums de la vie, qu’il savoure avec délices au milieu du désert. Le lever et le coucher du soleil sont les heures de douces pensées, plus riantes le matin, plus sérieuses le soir ; les premières aiment à sourire à l’avenir, les secondes sourient plus volontiers au passé. Dans la jeunesse, ces rêveries ont une douceur égale : car à peine la jeu-