Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/407

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l’homme en question, la tête couverte d’un mouchoir à carreaux, eût semblé s’apercevoir de sa présence ni suspendu son amusement, il l’interrogea. Ce qu’il répondit n’arriva pas jusqu’aux oreilles des maîtres attentifs. Ils virent seulement l’inconnu s’avancer vers eux les bras ballants, la démarche gauche et l’œil voilé d’apathie.

« Pardon, seigneur, dit-il en s’adressant à don Augustin avec un accent anglais fortement prononcé, mais un trappeur isolé doit savoir à qui il s’adresse dans ces déserts. Vous demandez, dites-vous, le gué de la Rivière-Rouge ?

– Oui, mon ami, » reprit l’hacendero en examinant d’un œil scrutateur l’étrange expression de la figure de l’inconnu.

Mais celui-ci ne perdit rien, sous le regard défiant de don Augustin, de son air de bonhomie indolente.

« Serait-ce pour aller à l’Étang-des-Castors ? dit-il.

– Précisément, reprit le sénateur ; cette jeune dame désire voir ce curieux spectacle.

– Hum ! murmura l’inconnu, j’y ai tendu mes trappes ; les trappes d’un pauvre chasseur, c’est sa vie et sa fortune ; mais, à tout prendre, ajouta-t-il, si Vos Seigneuries ne veulent que voir simplement, je les y conduirai, à une condition. »

L’hacendero continuait à regarder fixement le trappeur américain, dont la figure ne lui semblait pas inconnue.

Vous n’avez jamais vu de trappeur, sans doute, dit le chasseur de castors avec un rire bruyant et de bonne humeur, et voilà pourquoi vous me regardez avec tant d’attention. Quant à l’Étang-des-Castors, si vous me promettez de ne faire que voir sans tirer un coup de fusil, je vous y conduirai. Le gué est de ce côté, sur la gauche.

– Sur la gauche ? interrompit don Augustin ; on nous l’avait indiqué du côté opposé.