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« Déliez-moi les bras, dit-il à Main-Rouge d’une voix ferme ; qu’avez-vous à craindre ?

– Pas grand’chose ; qu’à cela ne tienne, car tout à l’heure on ne vous en coupera pas un morceau de moins du corps. »

Le renégat trancha le nœud des courroies qui maintenaient ses bras, et Fabian put se relever et se tenir debout.

Un dernier espoir de salut ou plutôt une dernière pensée d’amour semblait l’agiter ; car ses yeux ne jetèrent qu’un simple regard à l’horizon pour interroger le désert, toujours silencieux au loin, et ils concentrèrent bientôt toute leur attention sur le bord opposé, d’où le cri d’angoisse auquel il avait répondu était venu frapper ses oreilles.

Mais les herbes épaisses dérobaient à sa vue le groupe des trois prisonniers, parmi lesquels le sénateur et l’hacendero se demandaient en frémissant quel pouvait être le malheureux blanc dont le supplice s’apprêtait.

Enfin la pirogue était à flot, deux Indiens y disposaient leurs avirons, quand une voix retentissante comme une clameur, terrible comme celle d’Achille sortant de sa tente pour venger la mort de Patrocle, frappa subitement l’air et fut répétée par l’écho.

Cette voix s’était élevée du côté de l’Étang-des-Castors ; les Indiens ne purent l’entendre sans tressaillir, et Fabian sentit instinctivement que c’était une voix amie. L’air vibrait encore sous son puissant éclat, quand, échappé des vastes poumons du coureur des bois, un nouveau cri, plus éclatant dix fois que le premier, lui succéda, et que la voix du carabinier fit à son tour hurler les échos.

Ces deux bouches amies venaient de leur jeter le nom de Fabian, comme une barrière entre la mort et lui, et Fabian y répondit sans trembler.

« Chien ! » s’écria Main-Rouge en levant son couteau pour le frapper.