Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’élancèrent dans la pirogue, et malgré les cris de Main-Rouge, en dépit des malédictions et des ordres de Sang-Mêlé, firent force de rames vers l’autre rive.

La plus grande partie des autres Apaches, après être remontés sur leurs chevaux, les poussèrent impétueusement dans le fleuve ; car une épaisse fumée s’élevait de la plaine derrière eux, et déjà de longs jets de flamme commençaient à dévorer les hautes herbes. La terreur avait gagné les guerriers indiens plus rapidement que l’incendie ne se propageait dans la plaine. Plusieurs d’entre eux, restés à pied, s’élancèrent à la nage.

« Guerriers timides, au cœur de femme, lâches ! » hurlait Sang-Mêlé avec rage, essayant en vain d’empêcher les Indiens de fuir. Mais la fumée que poussait le vent, le craquement des herbes qui s’enflammaient ; et par-dessus tout la terreur panique produite par la brusque attaque d’ennemis invisibles, rendaient inutiles tous les efforts du métis.

Il avait d’ailleurs une proie précieuse à mettre en sûreté ; cessant donc de vaines tentatives, il saisit par la bride l’un des chevaux dont le cavalier venait d’être démonté, et bondit vers Rosarita au moment où elle rouvrait enfin les yeux. Le retentissement des armes à feu avait dissipé son évanouissement, et le premier objet qui s’offrit à sa vue fut encore le terrible Sang-Mêlé, dont la rage qui l’animait rendait l’aspect plus effrayant encore.

En vain voulut-elle fuir ; le métis saisit son bras, et, malgré ses cris, malgré ceux de son père et du sénateur, immobiles dans leurs liens, Sang-Mêlé l’enleva, la jeta en travers de sa selle, et s élança en croupe derrière elle. Un instant après son cheval fendait du poitrail l’eau du fleuve, qui bouillonnait sous ceux de quarante autres chevaux.

Les diverses scènes que nous venons de décrire avaient été si rapides, que personne parmi les assaillants n’avait pu prévenir ce dernier épisode. Un nuage de fumée leur