Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/483

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roche et de Baraja, comme s’il les connaissait parfaitement. »

Un frisson d’angoisse se glissa dans les veines de Rosarita ; son sein se souleva, ses joues se colorèrent d’une teinte pourprée, puis elles devinrent pâles comme la fleur du datura ; mais sa bouche resta muette.

« J’achève mon récit, continua le narrateur. Après avoir arraché le fils du brave guerrier aux Apaches, nous nous dirigeâmes vers les prairies du Texas.

« Je ne vous raconterai pas tous les dangers que nous avons courus, nous chasseurs aux loutres et aux castors, pendant six mois à peu près d’une vie errante, qui du reste n’est pas sans charme. Mais il y en avait un parmi nous qui était loin de trouver cette existence agréable : c’était notre jeune compagnon.

« Quand je le vis pour la première fois, je fus frappé de la résignation mélancolique dont son visage portait l’empreinte ; mais depuis, sa résignation semblait journellement diminuer et sa mélancolie augmenter. Le vieux chasseur, que je croyais son père (je sais maintenant qu’il ne l’est pas) saisissait toutes les occasions de lui faire admirer la magnificence des grandes forêts dans lesquelles nous vivions, les scènes imposantes du désert, le charme de ces périls que nous bravions. Vains efforts ! rien ne pouvait chasser le chagrin qui le dévorait, et il ne semblait l’oublier que dans le danger, où il se précipitait avec ardeur. On eût dit que la vie n’était plus pour lui qu’un pesant fardeau dont il cherchait à se débarrasser.

« Plein de compassion pour lui, je disais souvent au vieux guerrier : « La solitude n’est faite que pour l’âge mûr ; la jeunesse aime le bruit, la présence de ses semblables : retournons aux habitations. » Et le géant soupirait sans me répondre. Peu à peu, le front des deux chasseurs, qui aimaient leur jeune compagnon comme un fils, s’assombrit aussi. Une nuit que nous veillions, le