Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/484

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jeune homme et moi, je lui rappelai un nom que six mois auparavant ses lèvres avaient laissé échapper pendant son sommeil ; j’appris alors la cause du chagrin qui le minait lentement. Il aimait, et la solitude n’avait fait que donner plus de force à une passion que vainement il avait espéré d’éteindre. »

Le conteur se tut un instant et jeta un regard pénétrant sur la contenance de ses auditeurs, surtout sur celle de doña Rosario. Il semblait prendre un secret plaisir à exciter la jeune fille par le récit de toutes les circonstances les plus propres à faire vibrer le cœur d’une femme.

Guerrier et chasseur à la fois, l’hacendero ne cherchait pas à cacher l’intérêt que lui inspirait l’histoire de ces inconnus.

Rosarita, au contraire, s’efforçait, sous l’apparence d’une froideur étudiée, de dissimuler le charme que lui faisait éprouver ce roman de cœur et d’action dont le gambusino lui ouvrait si complaisamment les pages les plus émouvantes.

Le feu de ses grands yeux noirs, le coloris que retrouvaient ses joues, démentaient pourtant ses efforts.

« Ah ! s’écria don Augustin, si ces trois braves eussent été sous les ordres du pauvre don Estévan, le sort de l’expédition eût sans doute été bien différent.

– Je le crois comme vous, répondit Gayferos. Dieu en avait disposé autrement. Cependant, reprit-il, je ressentais vivement le désir de revoir mon pays ; mais la reconnaissance me faisait un devoir de ne point le manifester. Le vieux guerrier sembla le deviner et s’ouvrit à moi à ce sujet.

« Trop généreux pour me laisser m’exposer seul aux dangers sans nombre du retour, le chasseur géant résolut de m’accompagner jusqu’à Tubac. Son compagnon ne mit aucun obstacle à cette résolution, et nous nous mîmes en route pour la frontière. Le jeune homme seul