Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/487

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moi, fit un détour, et je le perdis de vue, sans cesser d’apercevoir cependant l’effrayante apparition toujours immobile à sa place.

« Tout à coup je vis une autre forme noire qui s’élança sur le fantôme et le prit à la gorge ; les deux corps se confondirent en un seul ; la lutte fut courte et silencieuse, et l’on aurait pu croire que c’était celle de deux esprits. Je priai Dieu pour le noble jeune homme qui exposait ainsi sa vie avec tant de sang-froid et d’intrépidité. Peu de temps après je le vis revenir ; le sang coulait sur son visage d’une large blessure à la tête. « Oh ! Jésus ! m’écriai-je, vous êtes blessé. – Ce n’est rien, dit-il ; à présent je vais éveiller mes compagnons. »

« Que vous dirai-je, madame ? continua le gambusino ; mon rêve n’était qu’un avertissement de Dieu. Un parti d’Indiens que nous avions déroutés complétement à la Fourche… au Texas, veux-je dire, s’était remis sur nos traces pour venger le sang des leurs qui avait coulé sur les bords de… à l’endroit où nous avions délivré le jeune homme. Mais les Indiens avaient affaire à de terribles adversaires. Leur sentinelle, c’était le fantôme, avait été égorgée par le courageux jeune homme sans avoir eu le temps de jeter un cri d’alarme, et les autres, surpris dans leur sommeil, furent presque tous poignardés ; quelques-uns trouvèrent leur salut dans la fuite.

« La nuit n’était pas achevée quand ce nouvel exploit fut accompli.

« Le grand chasseur s’empressa de panser la blessure de celui qu’il aimait comme son fils, et le jeune homme, accablé de fatigue, s’étendit par terre et s’endormit. Tandis que ses deux amis veillaient autour de lui pour protéger son sommeil, je regardais avec tristesse ses traits altérés, sa figure pâle et sa tête ceinte d’un bandeau ensanglanté.

– Pauvre enfant ! interrompit doucement doña Rosa-