Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la victime qui aient le droit d’exiger le sang du coupable.

« La jeunesse du seigneur don Tiburcio s’est écoulée dans ce pays ; je l’ai connu comme fils adoptif du gambusino Marcos Arellanos.

« Qui prouve que Tiburcio Arellanos est le fils de la femme assassinée ?

« Comment, après tant d’années, l’ancien matelot, aujourd’hui le chasseur ici présent, a-t-il pu reconnaître au fond de ces déserts, dans l’homme fait que voici, l’enfant qu’il n’a vu qu’un instant dans une nuit brumeuse ?

– Répondez, Bois-Rosé, »

dit froidement Fabian.

Le Canadien se leva de nouveau.

« Je dois d’abord déclarer ici, dit le vieux chasseur, que ce n’est pas pendant un seul moment d’une nuit brumeuse que j’ai vu l’enfant en question. Pendant deux ans, après l’avoir arraché à une mort certaine, j’ai vécu avec lui à bord du navire où je l’avais amené.

« Les traits d’un fils ne sont pas gravés plus profondément dans la mémoire d’un père que ceux de cet enfant ne l’étaient dans la mienne.

« Maintenant, comment l’ai-je reconnu ?

« Quand vous marchez dans le désert, sans chemin tracé, ne vous dirigez-vous pas par le cours des ruisseaux, par l’aspect des arbres, par la conformation de leurs troncs, par la disposition de la mousse qui les recouvre, par les étoiles du ciel ? Quand vous repassez dans la saison suivante, ou plus tard, ou vingt ans après, que les pluies aient gonflé le ruisseau ou que le soleil l’ait à moitié tari ; que l’arbre que vous avez vu dépouillé soit couvert de feuilles ; que son tronc ait grossi ; que ses mousses se soient épaissies ; que l’étoile du Nord ait changé de place, ne reconnaîtrez-vous pas toujours l’étoile, l’arbre ou le ruisseau ?

– Sans doute, répliqua Diaz, l’homme qui a pratiqué le désert ne s’y trompe pas. Mais… »