Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/50

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Le Canadien reprit, en interrompant l’aventurier :

« Quand vous rencontrez dans les savanes un inconnu qui échange avec vous le cri de l’oiseau ou la voix de l’animal qui sert de ralliement à vous ou à vos amis, ne dites-vous pas : « Cet homme est des nôtres ? »

– Assurément.

– Eh bien ! j’ai reconnu l’enfant dans l’homme fait, comme vous reconnaîtriez l’arbuste dans l’arbre grand, le ruisseau qui murmurait jadis, dans le torrent qui gronde aujourd’hui grossi par les pluies ; j’ai reconnu l’enfant par un mot d’ordre que vingt ans ne lui avaient fait oublier qu’à moitié.

– Cette rencontre n’est-elle pas pour le moins étrange ? objecta Diaz, à près peu convaincu de la véracité du Canadien.

– Dieu, s’écria Bois-Rosé avec solennité, Dieu, qui dit à la brise d’apporter à travers l’espace au dattier femelle la poussière fécondante du palmier mâle ; Dieu, qui confie au vent qui ravage, au torrent qui dévaste, à l’oiseau qui voyage, la graine étrangère pour la déposer à cent lieues de la plante qui l’a produite, ne peut-il pas aussi facilement pousser l’une sur le chemin de l’autre deux créatures faites à son image ? »

Diaz se tut un instant ; puis, n’ayant rien de plus à alléguer contre les paroles chaleureuses du Canadien, dont la loyale figure et l’accent de vérité portaient avec soi une conviction irrésistible, il se tourna vers Pepe.

« Avez-vous reconnu, demanda-t-il, dans le fils adoptif du gambusino Arellanos, le fils de la comtesse de Mediana ?

– Il faudrait n’avoir jamais vu sa mère pour le méconnaître plus d’un jour, reprit Pepe ; du reste, que le duc de l’Armada nous démente. »

Don Antonio, trop fier pour mentir, ne pouvait nier la vérité sans se dégrader aux yeux de ses juges, sans anéantir le seul moyen de défense auquel son orgueil et