Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/496

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remarquer l’air grave et imposant de don Augustin ; il crut devoir l’interroger à cet égard.

« Don Estévan de Arechiza, le duc de l’Armada, n’est plus, dit l’hacendero ; nous avons perdu, vous et moi, un noble et précieux ami !

– Quoi ! mort ! s’écria le sénateur en voilant sa figure de son mouchoir de batiste brodée. Pauvre don Estévan ! je ne sais pas si je m’en consolerai jamais. »

Son avenir, toutefois, ne devait pas être assombri par un deuil éternel, car le regret qu’il exprimait était loin d’être en harmonie avec ses pensées les plus secrètes. Tout en reconnaissant les nombreuses obligations qu’il avait à don Estévan, il ne put s’empêcher de considérer que, s’il eût vécu, il l’aurait obligé à dépenser en menées politiques la moitié de la dot de sa femme… un demi-million qu’il eût été forcé de jeter au vent !… « Je ne serai, il est vrai, se dit-il à lui-même, ni comte, ni marquis, ni duc de quoi que ce soit ; mais, dans ma manière à moi, un demi-million est plus agréable que des titres et doublera mes jouissances. Ce fatal événement rapproche d’ailleurs l’époque de mon mariage… Peut-être après tout n’est-ce pas un malheur que don Estévan soit mort… ! Pauvre don Estévan, reprit-il tout haut, quel coup inattendu ! »

Tragaduros devait apprendre plus tard qu’il eût été bien plus heureux pour lui que don Estévan eût vécu. Nous le laisserons avec l’hacendero et nous suivrons Gayferos, car nous pensons que le lecteur sera bien aise de le retrouver.

Le gambusino avait sellé son cheval, et, sans être vu de personne, avait traversé la plaine et pris de nouveau la route qui conduisait au préside.

Le chemin, qu’il suivait déjà depuis longtemps, ne lui avait amené la rencontre que de rares voyageurs, et, lorsque par hasard quelque cavalier se montrait dans le lointain, le gambusino, au moment où il se croisait