Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/506

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terrompit Rosarita ; je n’ai pas connu don Fabian de Mediana.

– Le malheureux qui allait expier son crime, l’assassin de Marcos Arellanos, Cuchillo, en un mot, demandait grâce de la vie. Je ne pouvais la lui accorder, mais il s’écria : « Je la demande au nom de doña Rosarita, qui vous aime, car j’ai entendu… » Le suppliant était au bord d’un abîme ; j’allais lui pardonner pour l’amour de vous, quand un de mes compagnons le précipita dans le gouffre. Cent fois, dans le calme de la nuit, je me suis rappelé cette voix suppliante, et je me suis demandé, avec angoisse : « Qu’a-t-il donc entendu ? » Je vous le demande à vous, ce soir, Rosarita.

– Une fois, une seule fois ma bouche a trahi le secret de mon cœur ; ce fut ici, à cette même place, quand vous ayez quitté notre demeure. Je vous répéterai ce que j’ai dit. »

La jeune fille sembla recueillir ses forces pour oser dire à un homme qu’elle l’aimait et le lui dire en termes clairs, passionnés ; puis son front chaste, resplendissant de cette innocence virginale qui ne craint rien, parce qu’elle ignore tout, se leva sur Tiburcio.

« J’ai trop souffert, dit-elle, d’un malentendu, pour qu’il y en ait encore entre nous ; c’est donc mes mains dans vos mains, mes yeux sur vos yeux, que je vous répéterai ce que j’ai dit. Vous me fuyiez, Tiburcio ; je vous savais loin, je croyais que Dieu seul m’entendait, et je me suis écriée : « Reviens, Tiburcio ! reviens, c’est toi seul que j’aime ! »

Fabian, frissonnant d’amour et de bonheur, s’agenouilla pieusement devant cette sainte jeune fille, et s’écria d’une voix entrecoupée :

« À toi pour toujours, à toi ma vie future ! »

Rosarita poussa un léger cri ; Fabian se retourna et demeura comme frappé de stupeur.

Appuyé tranquillement sur le canon de sa longue ca-