Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/508

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C’est toujours moi, qui savais que vous y succomberiez ! « Demain, vous disais-je, j’accepterai votre sacrifice ; » mais Gayferos avait lu jusqu’à la page la plus secrète de l’âme de cette chaste enfant. Que me parlez-vous de pardon, quand, je vous le répète, c’est moi qui dois implorer le vôtre ? »

Le Canadien, en disant ces mots, tendit les bras à Fabian qui s’y précipita avec ardeur.

« Oh ! mon père, s’écria-t-il, tant de bonheur m’effraye, car jamais homme ne fut heureux comme moi.

– L’amertume viendra quand Dieu l’aura voulu, dit solennellement le Canadien.

– Mais vous, qu’allez-vous devenir ? demanda Fabian avec anxiété. Votre éloignement serait-il pour moi la goutte de fiel mêlée à toute coupe de bonheur ?

– À Dieu ne plaise ! mon enfant, s’écria le Canadien. Je ne puis vivre, il est vrai, dans les villes ; mais cette demeure, qui sera la vôtre, n’est-elle pas sur la limite des déserts ? N’ai-je pas l’immensité autour de moi ? Je bâtirai avec Pepe… Holà ! Pepe, dit le chasseur à haute voix, venez ratifier ma promesse. »

Pepe et Gayferos s’avancèrent à la voix du vieux chasseur.

« Je bâtirai avec Pepe, reprit-il, une hutte d’écorce et de troncs d’arbres sur l’emplacement où je vous ai retrouvé. Nous n’y serons peut-être pas toujours, il est vrai ; mais, s’il vous prend fantaisie plus tard d’aller revendiquer le nom et la fortune de vos pères en Espagne, ou d’aller un jour à ce vallon que vous savez, vous retrouverez toujours deux amis prêts à vous suivre jus qu’au bout du monde. Allez, mon Fabian, j’ose espérer être plus heureux que vous, car je jouirai d’un double bonheur, du mien… et du vôtre. »

À quoi bon s’appesantir plus longtemps sur de pareilles scènes ? le bonheur est si fugitif, si impalpable, qu’il ne supporte ni l’analyse ni la description.