Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/53

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– J’écoute, dit doucement Fabian.

– Vous êtes bien jeune, Fabian, reprit Mediana ; le sang versé n’en pèsera que plus longtemps sur vous. »

Fabian laissa échapper un geste d’angoisse.

« Pourquoi souiller sitôt cette vie que vous commencez à peine ? Pourquoi ne pas suivre la voie qu’ouvre devant vous une faveur inespérée de la Providence ? Hier, vous étiez pauvre, vous étiez sans famille : Dieu vous fait retrouver une famille, en même temps qu’il vous donne la richesse. L’héritage de votre nom n’a pas dépéri entre mes mains ; j’ai porté pendant vingt ans le nom des Mediana à la hauteur des plus illustres qui soient en Espagne, et je suis prêt à vous le rendre avec tout l’éclat que j’ai su y ajouter. Reprenez donc un bien que je vous cède avec joie, avec bonheur, car mon isolement dans la vie me paraissait bien lourd ; mais ne l’achetez pas par un crime qu’une justice illusoire n’absoudrait pas, et que vous pleureriez jusqu’à votre dernier jour.

– Le juge qui siège à son tribunal n’a pas le droit d’écouter la voix de son cœur. Fort de sa conscience, du service qu’il rend à la société, il peut plaindre le coupable, mais son devoir exige qu’il le condamne. Dans ces déserts, ces deux hommes et moi représentons la justice humaine. Dissipez les accusations qui pèsent contre vous, don Antonio, et le plus heureux de nous deux ne sera pas vous ; car je n’accuse qu’en frémissant, mais sans pouvoir me soustraire à la mission fatale que Dieu m’impose.

– Pensez-y bien, Fabian, et songez que ce n’est pas le pardon, mais l’oubli que je sollicite ; grâce à cet oubli, il ne tiendrait qu’à vous d’être, dans le fils que j’adopterais, un Mediana héritier d’une maison princière ; après ma mort, mes titres s’éteignent pour toujours. »

À ces paroles, une pâleur mortelle couvrit le front