Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/54

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du jeune homme ; mais refoulant la tentation de l’orgueil au fond de son cœur, Fabian ferma l’oreille à cette voix qui lui proposait une si riche part des grandeurs humaines, comme s’il n’eût entendu que le vain souffle de la brise murmurant dans le feuillage des saules.

« Oh ! Mediana, pourquoi faut-il que vous ayez tué ma mère ? s’écria Fabian en se voilant la figure de ses deux mains ; puis, jetant un regard sur le poignard planté dans le sable : Seigneur duc de l’Armada, le poignard n’a plus d’ombre, ajouta-t-il d’un ton solennel. »

Don Antonio tressaillit malgré lui ; se rappelait-il alors la menace prophétique que vingt ans auparavant la comtesse de Mediana lui avait fait entendre.

« Peut-être, lui avait-elle dit, ce Dieu que vous blasphémez vous fera-t-il trouver, au fond d’un désert où les hommes n’auront jamais pénétré, un accusateur, un témoin, un juge et un bourreau. »

Accusateur, témoin et juge, tout était là sous ses yeux ; mais qui allait être le bourreau ? Cependant rien ne devait manquer à l’accomplissement de la formidable prophétie.

Un bruit de branches froissées se fit tout à coup entendre.

Un homme, les habits dégouttants d’eau et souillés de vase, sortit de l’enceinte des cotonniers : c’était Cuchillo.

Le drôle s’avançait avec un air d’aisance imperturbable, quoiqu’il semblât boiter légèrement.

Aucun des quatre hommes si profondément absorbés dans leurs terribles réflexions ne manifesta d’étonnement à son aspect.

« Caramba ! vous m’attendiez donc, s’écria-t-il ; et moi qui m’obstinais à prolonger le bain le plus désagréable que j’aie jamais pris, dans la crainte de vous causer à tous une surprise dont mon amour-propre