Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/55

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aurait souffert (Cuchillo ne parlait pas de son excursion dans la montagne). Mais l’eau de ce lac est si glaciale que j’aurais affronté, pour n’y pas mourir de froid, un danger plus grand que celui de me joindre à d’anciens amis. Ajoutez à cela que je sentais se rouvrir à ma jambe une blessure que j’y ai reçue… il y a longtemps… fort longtemps… dans ma jeunesse. Seigneur don Estévan, don Tiburcio, je suis bien votre serviteur. »

Un profond silence accueillit ces paroles.

Cuchillo sentait bien qu’il jouait le rôle du lièvre qui vient se réfugier sous la dent des lévriers ; mais il tâchait, à force d’impudence, de régulariser une position plus que précaire.

Le vieux chasseur seul lança vers Fabian un regard qui semblait demander le motif de l’intrusion de ce personnage à l’air impudent et sinistre, à la barbe limoneuse et verdâtre.

« C’est Cuchillo, dit Fabian en répondant au regard de Bois-Rosé.

– Cuchillo, votre serviteur indigne, reprit le drôle, et qui n’est pas sans avoir vu vos prouesses, seigneur chasseur de tigres… Décidément, pensa Cuchillo, ma présence leur est moins désagréable que je n’aurais cru. »

Puis, sentant redoubler son impudence à cet accueil quoique glacial, à ce silence quoique semblable à celui qui a lieu à l’arrivée de chaque nouveau venu dans une maison mortuaire, il dit tout haut, en voyant la contenance sévère de tous :

« Mais, vrai Dieu, je m’aperçois que vous êtes en affaires et que je suis peut-être indiscret ; je me retire : il y a des moments où l’on n’aime pas à être dérangé, je le sais par expérience. »

En disant ces mots, Cuchillo faisait mine de traverser une seconde fois la verte enceinte du val d’Or ; mais la voix rude de Bois-Rosé le retint.