Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/58

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reur physique de l’homme pour la destruction de son semblable, paraissait uniquement absorbé dans la contemplation mélancolique de ce jeune homme qu’il aimait comme un fils, et dont l’attitude brisée révélait la douleur.

Pepe, de son côté, essayait de couvrir d’un masque impassible les sensations tumultueuses d’une vengeance satisfaite, et gardait le silence comme ses deux compagnons.

Cuchillo seul, dont les instincts sanguinaires et vindicatifs l’eussent fait se charger gratuitement du rôle odieux de bourreau, contenait à peine sa joie à l’idée de la somme énorme que ce meurtre allait lui rapporter.

En outre, par une singularité piquante, Cuchillo, pour la première fois de sa vie, marchait d’accord avec une apparente légalité.

« Caramba ! se dit-il en prenant la carabine de Pepe de ses mains et tout en faisant à don Antonio un signe d’intelligence, voilà un cas où l’alcade d’Arispe lui-même enragerait d’être forcé de me donner l’absolution. »

Et il s’avança vers don Antonio.

Pâle et les yeux étincelants, sans savoir s’il voyait en Cuchillo un sauveur ou un bourreau, l’Espagnol ne bougea pas.

« Il m’avait été prédit que je mourrais dans un désert ; j’ai été ce que vous appelez jugé, je suis condamné ; Dieu me réserve-t-il comme suprême outrage de mourir de la main de cet homme ? Seigneur Fabian, je vous pardonne ; mais puisse ce bandit ne pas vous être fatal comme il va l’être au frère de votre père, comme il l’a été… »

Un cri de Cuchillo, un cri d’effroi vint interrompre le duc de l’Armada.

« Aux armes ! aux armes ! voici les Indiens ! » cria-t-il.

Il y eut un moment de confusion.