Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/60

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Ne soyez donc pas ingrat ; car, pourquoi ne pas en convenir ? vous étiez tout à l’heure le neveu le plus embarrassé de son oncle qui fût jamais… Vous êtes noble, vous êtes généreux : vous auriez regretté toute votre vie de n’avoir pas pardonné à cet oncle, quand j’ai tranché la question ; j’ai pris le remords pour moi, et voilà tout.

– Le drôle a l’intelligence alerte et la main sûre, dit l’ex-carabinier.

– Oui, reprit Cuchillo évidemment flatté, je me pique de n’être pas un sot et de me connaître en délicatesse de conscience ; j’ai pris sur moi les scrupules de la vôtre. Quand j’aime les gens, je m’oublie toujours pour eux, c’est mon défaut. Lorsque j’ai vu que vous m’aviez si généreusement pardonné le coup de… l’égratignure que je vous avais faite, j’ai fait de mon mieux pour y parvenir, le reste est à régler entre ma conscience et moi.

– Ah ! soupira Fabian, j’espérais encore pouvoir lui pardonner.

– Que faire à cela ? interrompit l’ex-carabinier. Pardonner au meurtrier de sa mère, seigneur don Fabian, eût été une lâcheté ; tuer un homme sans défense, presque un crime, j’en conviens, même après cinq ans de préside ; notre ami Cuchillo nous a donc épargné l’embarras du choix. C’est son affaire. Qu’en pensez-vous, Bois-Rosé ?

– Avec des preuves semblables à celles que nous possédons, le tribunal d’une ville eût condamné l’assassin à la peine du talion, la justice indienne ne l’eût pas épargné davantage ; c’est Dieu qui a voulu vous éviter de verser le sang d’un blanc. Je dis comme vous, Pepe, c’est l’affaire de Cuchillo. »

Devant ce verdict du vieux chasseur, Fabian s’inclina, mais en silence toutefois, comme s’il n’eût pu démêler au fond de son cœur, parmi les voix contradictoires qui