Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figure de Fabian, il ajouta, avec cette ironie mordante qui faisait le fond de son caractère : « Mais, après tout, si ce rôle vous répugne tant, je m’en chargerai ; car, n’ayant pas contre Cuchillo la moindre rancune, je puis le pendre sans scrupule aucun : vous allez voir, don Fabian, que le coquin ne sera pas surpris de ce que je vais lui dire ; les gens porteurs d’une figure semblable à celle de Cuchillo s’attendent toujours à être pendus d’un moment à l’autre. »

En achevant cette réflexion judicieuse, Pepe s’approcha de la haie de verdure qui les séparait du bandit.

Celui-ci, étranger à tout ce qui s’était passé autour de lui, ébloui, aveuglé par les lueurs dorées qui jaillissaient, aux rayons du soleil, de la surface du vallon, n’avait rien vu, rien entendu.

Ses doigts crispés fouillaient le sable avec l’ardeur du chacal affamé qui déterre un cadavre.

« Seigneur Cuchillo ! un mot s’il vous plaît, s’écria Pepe en entr’ouvant les branches de cotonniers ; seigneur Cuchillo ! »

Mais Cuchillo n’entendait pas.

Ce ne fut qu’au troisième appel qu’il détourna la tête et montra au carabinier son visage enflammé, après avoir, par un mouvement spontané de défiance, rejeté un coin de son manteau sur l’or qu’il avait recueilli.

« Seigneur Cuchillo, reprit Pepe, je vous ai entendu tout à l’heure proférer une maxime philosophique qui me donne la plus haute idée de votre caractère.

– Allons, se dit Cuchillo en essuyant son front mouillé de sueur, en voilà encore un qui a besoin de moi. Ces gens deviennent indiscrets ; mais, vive Dieu ! ils payent généreusement. »

Puis, tout haut :

« Une sentence philosophique ! dit-il en rejetant dédaigneusement une poignée de sable dont le contenu eût fait partout ailleurs la joie d’un chercheur d’or.