Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/74

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et aux douces illusions dont il s’était bercé succéda brusquement une formidable réalité.

« Marcos Arellanos, balbutia-t-il d’une voix éteinte ; qui vous l’a dit ? Je ne l’ai pas tué !

Fabian sourit amèrement.

« Qui dit, s’écria-t-il, au pâtre où est la tanière du jaguar qui dévore ses troupeaux ?

« Qui dit au vaquero où s’est réfugié le cheval qu’il poursuit ?

« À l’Indien, l’ennemi qu’il cherche ?

« Au chercheur d’or, le métal que Dieu cache ?

« La surface du lac seule ne garde pas la trace de l’oiseau qui vole au-dessus de ses eaux et du nuage qui s’y reflète ; mais les terres, les herbes, la mousse, tout garde pour nos yeux, à nous, fils du désert, l’empreinte du jaguar, du cheval, de l’Indien ; ne le savez-vous pas comme moi ?

– Je n’ai pas tué Arellanos, répéta l’assassin.

– Vous l’avez tué ! vous l’avez égorgé près du foyer commun, vous avez jeté son corps à la rivière ; le sol m’a tout dit, depuis le défaut du cheval qui vous portait, jusqu’à la blessure à la jambe que vous avez reçue dans la lutte.

– Grâce ! seigneur don Tiburcio, s’écria Cuchillo, accablé par la révélation subite de ces faits dont Dieu seul avait été témoin. Prenez tout l’or que vous m’avez donné, mais laissez-moi la vie, et, pour vous en remercier, je tuerai tous vos ennemis, je tuerai partout et toujours sur un signe de vous… pour rien… même mon père, si vous l’ordonnez ; mais, au nom du Dieu tout-puissant dont le soleil nous éclaire, laissez-moi la vie, laissez-moi la vie ! reprit-il en se traînant aux genoux de Fabian.

– Arellanos vous demandait grâce aussi ; l’avez-vous écouté ? dit Fabian en se détournant.

– Mais quand je l’ai tué c’était pour m’emparer de