Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/75

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tout cet or à moi seul ; je le donne aujourd’hui pour ma vie, que voulez-vous de plus ? » continua-t-il en résistant aux efforts de Pepe, qui cherchait à l’empêcher d’aller baiser les pieds de Fabian.

Les traits bouleversés par la terreur, une écume blanchâtre à la bouche, les yeux démesurément ouverts, mais sans regard, Cuchillo suppliait encore en essayant de ramper jusqu’à Fabian. Le bandit était arrivé d’efforts en efforts jusqu’au bord de la plate-forme. Derrière sa tête la nappe d’eau se précipitait en écumant.

« Grâce ! grâce ! reprit-il, grâce au nom de votre mère, au nom de doña Rosarita qui vous aime, car je le sais, elle vous aime… j’ai entendu…

– Quoi ! » s’écria Fabian en s’élançant à son tour vers Cuchillo ; mais l’interrogation expira sur ses lèvres.

Arraché au sol par le pied du carabinier, Cuchillo, les bras et la tête en arrière, tombait renversé dans l’abîme.

« Qu’avez-vous fait, Pepe ? s’écria Fabian.

– Le drôle, dit l’ex-carabinier, ne valait ni la corde qui l’aurait étranglé, ni la balle qui l’aurait abattu. »

Un cri déchirant, un cri qui s’élevait du gouffre, couvrit leurs voix et domina le bruit de la cascade. Fabian avança la tête et recula saisi d’horreur. Accroché aux branches d’un buisson qui ployait sous son poids et dont les racines, qui tenaient à peine aux flancs du rocher, s’en détachaient petit à petit, Cuchillo planait sur l’abîme et hurlait de terreur et d’angoisse.

« Au secours ! criait-il de cette voix de désespoir des damnés ; au secours ! si vous avez des entrailles humaines ! »

Les trois amis échangèrent un regard intraduisible ; chacun d’eux essuyait la sueur de son front.

Tout à coup la voix du bandit s’éteignit, et, au milieu d’éclats de rire hideux, semblables à ceux d’un aliéné, on n’entendit plus que quelques mots inarticulés qui s’échappaient de sa bouche.