Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/77

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qu’il rencontre ses semblables sur l’immensité de l’Océan ou au milieu des déserts, c’est toujours le même résultat : du sang qui rougit la mer ou dont le sable se teint ; et cependant Dieu semble n’avoir créé la terre et la mer aussi vaste que pour qu’il y ait place pour tout le monde.

– Est-ce un reproche indirect que vous m’adressez ? demanda Fabian d’un ton d’amère tristesse ; j’ai condamné le meurtrier de ma mère, j’ai condamné également l’assassin de mon père adoptif comme j’aurais condamné le vôtre. Ce que j’ai fait, je le ferais encore, ajouta-t-il avec fermeté ; aurais-je eu le droit de pardonner à l’un et à l’autre ?

– L’amertume est dans votre âme, mon enfant, s’écria Bois-Rosé, et vous fait mal interpréter mes paroles. Non, je n’ai pas eu l’intention de blâmer votre conduite ; que Dieu m’en préserve ! et d’ailleurs le pourrais-je, quand j’ai moi-même donné un avis semblable au vôtre dans cette terrible affaire ?

« Ces deux meurtriers, qui avaient échappé à la justice régulière des hommes, semblent avoir été poussés dans le désert pour y subir le châtiment dû à leurs crimes. Les condamner a pour vous été un devoir terrible que vous imposait la Providence. Vous l’avez rempli comme il convient à un cœur généreux.

« N’avez-vous pas noblement dédaigné les grandeurs du monde que vous offrait l’assassin de votre mère ? Agir autrement eût été lâcheté. Je suis fier de vous, mon enfant bien-aimé. Ne voyez donc, dans mes réflexions sur l’acharnement des hommes à s’entre-détruire, qu’une pensée douloureuse que j’exprimais en songeant à la perversité de l’espèce humaine. Le temps approche où je serai seul, et je n’ai pu m’empêcher de penser que, lorsqu’un jour aussi mon tour viendra, peut-être ne trouverai-je pas alors un ennemi généreux qui protège