Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/78

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mon corps contre l’outrage des hommes, et le préserve de devenir la pâture des bêtes. »

Fabian ne répondit pas, et le chasseur continua, en étouffant un soupir.

« Avant de vous retrouver, Fabian, je n’osais penser au passé, je n’ose aujourd’hui penser à l’avenir. » Et le chasseur soupira de nouveau. « Mais à quoi bon s’occuper de ce qui n’est plus ou de ce qui n’est pas encore ?… Que puis-je désirer dans le présent ? N’êtes-vous pas près de moi, et n’ai-je pas à veiller encore sur l’enfant que le ciel m’a fait retrouver ? Eh bien, quand vous ne serez plus là, je me dirai : « Si Dieu, qui deux fois l’a envoyé vers moi, ne me le rend pas, c’est qu’il est riche, heureux, que nul danger ne le menace, » et cette pensée me consolera dans ma solitude. »

Le chasseur se détourna pour chasser l’émotion qui se peignait sur sa figure et gagnait sa voix ; il semblait attendre une réponse de Fabian, mais Fabian resta muet.

« Tout cet or est à vous, mon enfant, reprit Bois-Rosé ; c’est l’héritage laissé par votre père adoptif ; Pepe et moi allons emporter tout ce que nous permettront nos forces. Nous avons déjà perdu bien du temps. Allons, Pepe, à l’ouvrage, continua le Canadien en s’adressant à l’Espagnol, qui, le visage appuyé sur sa main, promenait aussi des regards mélancoliques sur le désert.

– Pas encore, dit doucement le jeune homme, apaisé par le ton de tendresse de Bois-Rosé ; si vous le trouvez bon, nous passerons la nuit ici. J’ai besoin de me recueillir ; un choc terrible a ébranlé mes esprits, et je demanderai conseil au silence de la nuit et du désert sur ce que je dois décider ; demain je vous le dirai.

– Sur ce que vous devez décider ? demanda Bois-Rosé d’un air surpris.

– Il est trop tard à présent pour nous mettre en route, reprit Fabian sans s’expliquer davantage.