Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/80

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d’un buisson, reprit Pepe en frémissant à ce terrible souvenir ; mais l’autre va retourner au camp, et ce soir peut-être nous allons avoir soixante hommes sur les bras.

– Je n’en crois rien. Celui qui sous nos yeux a roulé dans le précipice de la cascade n’y est sans doute pas tombé par accident. Je parierais que c’est son compagnon qui l’y a poussé, pour rester seul maître du secret ; et, s’il n’a pas voulu le partager avec son ami, sera-ce pour convier soixante avides chercheurs d’or au régal qu’il se promet ? Loin de retourner au camp, le drôle doit, à l’heure qu’il est, se tenir tapi dans quelque ravin pour attendre la nuit. Quand les ténèbres couvriront le désert, nous le verrons rôder autour du trésor, comme nous entendons les loups hurler après le cadavre de ce cheval là-bas. »

Le Canadien ne se trompait pas dans ses conjectures, du moins quant au sort d’Oroche.

« Tout ce que vous dites là est très-probable, répondit Pepe sans se laisser convaincre ; mais néanmoins je persiste dans mon avis. Pendant que nous avons encore deux heures de jour, nous devrions emporter chacun trente ou quarante livres de cet or. C’est facile et cela fait, si je ne me trompe, une somme fort ronde. Nous marcherions toute la nuit dans la direction du préside de Tubac ; nous pratiquerions une cache dans quelque endroit, nous y enfouirions le magot, puis nous reviendrions chercher une nouvelle provision. Le drôle à qui nous abandonnerions le champ libre nous laisserait encore, dût-il emporter avec lui son poids d’or, plus qu’il n’en faudrait à don Fabian. Voyez, n’est-ce pas une merveille de Dieu que cet amas de richesses dans ce vallon ? »

En disant ces mots, les deux chasseurs jetèrent un regard au-dessous d’eux. L’ombre s’allongeait lentement sur le val d’Or, et les magiques lueurs s’effaçaient petit à petit sous cette ombre croissante.