Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures à parcourir le chemin qu’elles ont fait ; il est minuit pour le moins.

– Déjà ! je ne pensais pas que la nuit fût si avancée.

– Dormez à votre tour, mon enfant, dit Bois-Rosé, il n’est pas bon que la jeunesse veille comme la vieillesse.

– Dormir ! reprit Fabian en touchant du doigt le bras du vieux chasseur ; est-il prudent de dormir quand on entend de pareils bruits autour de soi ? »

Des hurlements plaintifs s’élevaient du milieu de la plaine, à l’endroit où le cheval de don Estévan s’était abattu sous la balle du Canadien pour ne plus se relever.

Des formes noires se montraient confusément aux clartés indécises de la lune.

« Ces loups, reprit Fabian, pleurent une proie qu’ils n’osent dévorer en présence de l’homme. Peut-être ne sommes-nous pas seuls à les effrayer. »

Des détonations lointaines semblèrent confirmer tout à coup les craintes de Fabian.

Le chasseur, en homme accoutumé à tirer des inductions certaines de moindres signes comme des plus légers bruits de la solitude, n’eut besoin que d’une minute pour se rendre compte de ces détonations.

« Les Mexicains, dit-il, sont une seconde fois aux prises avec les Apaches et bien loin d’ici. Quant à ces loups, c’est notre vue seule qui les effraye ; dormez donc, mon enfant, et dormez sans crainte toutes les fois que je veillerai pour vous ; vous devez avoir besoin de sommeil.

– Hélas ! reprit Fabian, depuis quelque temps mes jours ont été des années ; aujourd’hui j’ai, comme la vieillesse, le privilège de l’insomnie. Puis-je d’ailleurs espérer de goûter du repos, après la journée qui vient de s’écouler ?

– Quelque terrible qu’elle ait été, jamais le sommeil n’a fait défaut quand on a courageusement accompli son devoir, reprit Bois-Rosé ; croyez-en l’expérience