Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/87

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d’un homme dont la solitude a mûri le jugement.

– J’essayerai, » répondit Fabian. Et, plutôt pour complaire à Bois-Rosé que pour satisfaire un besoin qu’il n’éprouvait pas, il s’étendit à son tour sur la terre.

Bientôt, sous la réaction des émotions terribles de la journée, ses muscles brisés se détendirent, ses yeux se fermèrent involontairement, et un sommeil profond, un sommeil que la jeunesse seule connaît, arrêta tout à coup le cours de ses pensées. Comme aux jours de l’enfance de Fabian, le géant canadien s’inclina sur son visage qu’éclairait la lueur pâle de la nuit.

« Enfant aux cheveux blonds que j’ai tant de fois veillé jadis, se dit-il en se reportant avec la complaisance des vieillards au temps de sa jeunesse, toi qui t’endors maintenant dans toute ta force, toi dont le soleil a bruni la figure et dont le temps a noirci les cheveux, toi qui me sembles à présent comme le commencement et la fin d’un rêve interrompu, dors encore une fois tranquille sous l’œil du chasseur qui t’a fait riche, comme tu dormais autrefois sous la garde du matelot qui t’avait sauvé la vie : le moment approche où nos sentiers à tous deux vont s’écarter de nouveau pour ne plus se rejoindre : le chemin des villes n’est pas celui qui conduit au désert ; le chêne et le palmier ne sauraient vivre sous le même ciel. »

En proférant ces paroles d’un ton de profonde mélancolie, Bois-Rosé souleva doucement la tête du jeune homme, que ce mouvement ne réveilla pas, l’appuya sur ses genoux et s’interposa entre les rayons de la lune et les yeux fermés de Fabian.

Au-dessus d’eux, le ciel resplendissait d’étoiles.

Pendant trente ans de sa vie de matelot et de chasseur, le Canadien n’avait jamais contemplé sans émotion cette immensité mobile, où chaque étincelle est un monde, où tant de millions de mondes, lancés par la main du Créateur, se meuvent dans l’espace sans jamais se heur-