Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/88

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ter. Une vague et triste rêverie s’empara du vieillard, qui prêta l’oreille aux harmonies terrestres mêlées à la muette harmonie des régions célestes. La cascade grondait sourdement au fond de l’abîme, le feuillage des sapins murmurait parfois sous la brise ; de mystérieuses rumeurs semblaient sortir des Montagnes-Brumeuses, et l’écho de la plaine répétait ces rumeurs.

« Combien, se disait Bois-Rosé en suivant le cours de ses idées, combien l’Océan ressemble au désert ! J’entends d’ici comme la mer qui brise ; j’entends le canon qui retentit au large. Combien de fois, au bruit de ces grands arbres ébranlés par le vent, n’ai-je pas cru que j’entendais gémir les mâts de l’Albatros ? L’Océan, le désert, Fabian, voilà les trois affections de ma vie. Le désert seul m’a fait oublier la mer. Qui remplacera pour moi le désert ? Fabian sans doute. Eh bien, j’essayerai, poursuivit le chasseur en soupirant ; aussi bien l’homme n’est pas fait pour passer sa vie entière dans les bois, loin de ses semblables. Oui, je renoncerai à ma vie errante, et Fabian me saura gré de ce sacrifice. »

Alors le chasseur laissa vaguer son esprit dans un monde depuis longtemps oublié. Tout d’un coup une douloureuse appréhension traversa son cœur : « Mais, reprit-il, pour que Fabian me sût gré d’un sacrifice qui sans doute abrégerait ma vie, encore faudrait-il qu’il me le demandât. Deux fois j’ai fait allusion à notre séparation prochaine, et deux fois son silence m’a brisé le cœur. Oh ! mon Dieu ! quelle dernière épreuve me réservez-vous ? »

Puis le chasseur leva ses yeux humides vers le firmament, où l’instinct de l’homme lui a toujours fait chercher les arrêts de Dieu. Le Chariot s’inclinait vers le nord, près de disparaître derrière les collines ; et, comme un triste présage, des étoiles tombantes, semblables à l’espoir qui brille un moment et s’éteint, mouraient en sillonnant de feu la voûte du ciel.