Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/90

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dans sa large poitrine. Il attendit plein d’anxiété.

« J’ai passé bien des nuits comme celle-ci, à la clarté des étoiles, reprit Fabian. Élevé dans la solitude, j’en connais tous les bruits nocturnes ; mais il m’a semblé entendre soupirer ce soir des voix… des voix que je n’avais jamais entendues !

– C’est possible, interrompit le chasseur étonné de ce préambule ; on entend dans le désert des choses qu’on ne peut entendre dans les villes ; dans le désert on est plus près de Dieu.

– Deux chrétiens ont péri de nos mains en ce jour qui vient de s’écouler ; la justice leur eût laissé le temps de se repentir ; ils ne l’ont pas eu. Croyez-vous que Dieu leur ait pardonné ? Ces voix que j’ai entendues ne sont-elles pas celles de deux âmes en peine ? »

Le chasseur garda le silence un instant.

« Vous pensez bien, dit-il à Fabian, que, dans le cours d’une vie comme celle que j’ai toujours menée, et pendant laquelle je n’ai jamais été sûr de voir se coucher le soleil que j’avais vu se lever, ou de voir succéder la nuit au jour qui finissait, j’ai souvent réfléchi au passage de cette vie à l’autre. J’ai donc beaucoup observé et passé bien des heures de la nuit à m’interroger à ce sujet. Eh bien, l’expérience m’a appris qu’une bonne mort couronnait constamment une bonne vie, et que l’expiation marchait toujours derrière le crime.

« J’en ai conclu que les comptes de chacun sont réglés ici-bas, et que, quand l’âme se détache du corps, que ce soit celle d’un juste ou celle d’un méchant, que cette âme soit dans sa pureté primitive ou purifiée par les expiations de la vie, toutes deux sont égales devant Dieu et appelées toutes deux à partager la même félicité. Voyez, continua le Canadien, la mort de ces deux hommes. L’un n’avait commis qu’un crime : vingt ans de remords l’avaient sans doute presque effacé, car lorsque Dieu l’a condamné pour expiation dernière, c’est sans qu’il s’en