Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/91

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doutât que la mort l’a frappé ; l’autre, souillé de tous les forfaits et que sa conscience ne tourmenta jamais, a souffert dans les courtes mais terribles angoisses d’une mort affreuse plus de vingt ans de torture ; quelques secondes de ce supplice ont suffi pour briser sa raison. Non, Fabian, vous n’avez pas entendu les voix de deux âmes en peine : l’âme du méchant n’est en peine que dans son corps.

– Je dois vous croire, répondit Fabian ; j’ai peu vécu, j’ai peu vu, et vous touchez aux limites de la vieillesse ; vous avez vu, vous avez voyagé, et les leçons de votre expérience ont déjà fait entrer de nouvelles idées dans mon âme. Laissons donc de côté ce triste sujet.

– Eh bien, s’écria Bois-Rosé, parlons donc de l’avenir que vous promettent et les richesses dont vous allez être le maître et le nom que vous allez recouvrer. Oh ! Fabian, penserez-vous parfois, dans le tourbillon de cette vie nouvelle et agitée, à ce vieillard que Dieu a fait naître pour vous conserver l’existence, et dans le cœur duquel il avait mis pour vous la tendresse d’une mère et la mâle affection d’un père, dont il lui eût été si doux de vous donner des preuves ?

– Des preuves ! reprit Fabian avec une chaleur qui fit tressaillir d’aise le cœur du Canadien ; ne m’en avez-vous pas donné de telles que la reconnaissance la plus fervente ne saurait être presque que de l’ingratitude ?

– Ah ! dit le chasseur, quand dans le jeune homme qui venait, d’une voix brisée par la souffrance et la fatigue, demander l’hospitalité près de mon foyer ; quand, dis-je, dans ce jeune homme je reconnus l’enfant que je pleurais toujours, j’osai alors espérer faire quelque chose pour lui. J’avais à toucher à Arispe le fruit de deux années d’une campagne où chaque pas avait été un péril ; je vous le destinais avec bonheur : mais un seul de ces cailloux d’or vaut dix fois cette somme ! Que pourrais-je à présent offrir à leur maître ? Plus rien… rien