Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/96

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– Hum ! répliqua Bois-Rosé, ce serait une belle vie, si ce n’est qu’on y est exposé à mourir tantôt de soif, tantôt de faim, ou bien par le couteau des Indiens, qui ne vous arrachent jamais la vie sans vous arracher en même temps la chevelure. »

La toux de Pepe sembla prendre un caractère convulsif.

« Ce n’est pas là pourtant ce que je vous ai entendu dire si souvent, répondit Fabian étonné.

– Ne le croyez pas, interrompit brusquement l’ex-carabinier en s’avançant ; le matelot, le chasseur de loutres et de castors préférer le séjour des villes aux libres allures des déserts, allons donc ! Ne voyez-vous pas que c’est une pitoyable comédie que joue là le pauvre Bois-Rosé, qui s’imagine, parce qu’il ne peut vivre sans vous, et que ce sera un bien vif plaisir, pour un jeune et brillant seigneur comme vous le serez à Madrid, de passer sa vie en compagnie d’une vieille barbe grise comme lui !

– Pepe ! s’écria le colosse d’une voix tonnante en se dressant comme un chêne qui surgirait à terre.

– Je parlerai malgré vous, » s’écria l’Espagnol.

Puis, s’adressant à Fabian :

« Bois-Rosé aller s’enfermer dans une ville, dans la cage de pierre d’une maison ! c’est impossible. Il veut vous tromper sans pouvoir se tromper lui-même ! Le malheureux ! il sait bien qu’il en mourrait. Savez-vous ce qu’il lui faut ? c’est l’immensité devant lui, c’est marcher comme le soleil, c’est-à-dire sans que rien l’arrête. Il a besoin, pour ses vastes poumons, de l’air du désert imprégné de parfums sauvages, chargé parfois des hurlements indiens. Non, non, continua l’Espagnol, le vieux lion ne saurait mourir sur la litière comme un mulet fourbu.

– C’est vrai ! c’est vrai ! murmura le Canadien en gémissant ; mais sa main fermerait du moins mes yeux ! »