Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/97

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Et le vieillard, dans l’angoisse de son cœur, laissa tomber sa tête sur sa poitrine.

« Et moi donc ! s’écria Pepe touché de cette douleur silencieuse, ne suis-je pas là, moi qui depuis dix ans n’ai cessé de vous aimer aussi comme un frère, moi qui depuis dix ans ai combattu et souffert avec vous ? »

Et il secouait rudement la main du chasseur, qui pendait le long de son corps. Fabian vint à son aide :

« Écoutez, dit-il, écoutez tous deux. J’ai trop présumé de ma force morale, continua-t-il ; j’ai cru pouvoir mener de front le soin de ma vengeance et celui de mon ambition. Ma vengeance est satisfaite et mon ambition s’est éteinte. La nuit et la solitude m’ont porté conseil, et j’ai profité d’un exemple terrible. Le grand seigneur est venu mourir ici d’une mort obscure ; le bandit cupide a trouvé son tombeau près des trésors qu’il convoitait. Que leur reste-t-il à l’un et à l’autre ? »

Le vieillard leva sur Fabian un œil où l’attendrissement se mêlait à une douce surprise. Il commençait à comprendre, sans oser espérer encore.

« Continuez, dit-il d’une voix tremblante.

– La richesse, reprit Fabian, je m’en aperçois, n’a de valeur qu’à raison des sueurs qu’elle a coûtées ; et de quel prix l’aurai-je payée ? Je n’ai pas vécu avec vous sans reconnaître toute la sagesse de vos leçons ; cet or me paraît odieux, car j’aurais versé le sang pour profiter de la dépouille des morts ; je n’y toucherai pas.

« Mon enfance, dites-vous, a été entourée de luxe ; je l’ai oublié, je ne me souviens que des jours de ma rude et laborieuse jeunesse. Je suis seul de ma race, libre de mes actions, et j’ai déjà, bien jeune encore, à oublier les morts et les vivants. Oh ! mon père, oh ! mon ami, c’est moi qui vous demande comme une faveur de rester près de vous dans ces déserts, de partager vos dangers et de m’associer à cette vie d’indépendance que nulle autre