Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome II, 1884.djvu/99

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met de la plate-forme, l’ex-carabinier était descendu à pas lents jusqu’à la plaine. Il semblait poussé par une de ces soudaines et irrésistibles impulsions auxquelles on obéit machinalement sans s’en rendre compte, et dont quelquefois les résultats sont incalculables.

La lune, près de disparaître, jetait ses dernières et douces lueurs sur le val d’Or, quand Pepe se fit doucement jour à travers le rideau de cotonnier et de saules.

Il contempla pendant quelques instants avec une mélancolique attention ce merveilleux sol aux reflets irisés, dont le premier aspect avait été pour lui la cause de si terribles pensées. Pepe ne pouvait se pardonner encore de les avoir conçues, quoiqu’il pût être si fier à juste titre de les avoir étouffées pour toujours.

« Au milieu de ces amas de richesses, se dit-il, que d’âmes moins fortes que la mienne pourront se perdre ! À défaut de pouvoir dépouiller ce vallon de ses trésors, j’en cacherai du moins la vue à ceux que le hasard amènera par ici. Le voyageur passera désormais à côté de cet or sans en soupçonner la présence. Ce sont peut-être bien des crimes dont j’aurai tari la source. »

En disant ces mots, Pepe éparpilla du pied le monceau d’or que Cuchillo avait entassé sur son zarape, et, quand il eut dédaigneusement nivelé la surface du vallon, il jeta par-dessus la haie le manteau du bandit. Puis il tira son couteau, coupa quelques brassées d’herbes, de lianes et de joncs, et en couvrit soigneusement le sol.

Rien désormais ne trahissait à l’œil l’existence de l’or sous ce voile de verdure ; le moindre reflet en avait disparu, et, comme si la lune eût regretté de ne plus pouvoir caresser de ses rayons cette merveille du Créateur, au moment où Pepe achevait sa tâche, elle achevait aussi sa course et disparaissait derrière les collines.

Pepe revint silencieusement s’asseoir derrière les sapins, sur la plate-forme où le Canadien et Fabian s’entretenaient ainsi :