Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/15

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— Encore une fille ! »

Et il se laissa retomber avec accablement. Puis, l’instant d’après, il se redressa, la colère au visage. Il saisit la bouteille, la brandit avec menace, comme s’il voulait la lancer au nouveau-né, et la brisa contre terre en proférant une horrible malédiction.

Après avoir maudit l’enfant, il invectiva la mère.

La pauvre femme sanglotait.

L’enfant criait de froid ; car rien n’était préparé pour la recevoir.

Marie se souleva et tendit les bras.

« Donnez-la-moi, mère Michu, je la réchaufferai. »

En cet instant entra Mlle Borel, accompagnée d’un domestique qui portait un paquet.

Mlle Borel pouvait avoir vingt ans. Bien qu’elle fût petite, ses traits étaient grands, nobles et sérieux. L’œil, profond et ferme, au premier abord semblait un peu sévère ; mais cette sévérité était tempérée par l’aménité du sourire et la douceur de la voix.

À son arrivée, Jacques Bordier releva la tête. Des larmes brillaient dans son regard farouche.

D’un coup d’œil, Mlle Borel vit ces larmes et toute cette misère. Elle se sentit navrée, mais elle réprima vite la compassion qui se peignit sur son visage. Elle savait que la pitié blesse les âmes fières. Elle pensait que ce n’est pas seulement la misère qui dégrade, mais que c’est plutôt l’aumône qui place le pauvre dans une humiliante infériorité. Or, la pitié, n’est-ce point l’aumône du cœur ?

« J’ai appris, dit-elle, que Françoise devait accoucher plus tôt qu’elle ne l’avait pensé, et j’apporte du linge pour le nouveau-né, une couverture et du vin pour la malade.