Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/26

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— Monsieur, répondit Madeleine avec quelque émotion, ma sœur aînée est ouvrière en velours, et c’est elle qui nourrit ma mère.

— C’est-à-dire, reprit Mlle Borel en s’animant, que l’ouvrier subit la loi du plus fort. L’ouvrier a droit à une mesure plus équitable. Or, votre aune à crochet n’est pas équitable, puisqu’elle le prive d’une partie de son salaire.

— Ma chère Bathilde, sur ce sujet nous ne nous entendrons jamais. Rompons donc là cette discussion. Vous êtes toujours dans la théorie pure ; moi, je reste dans la pratique, par conséquent dans le vrai.

— Ma théorie, c’est le droit ; votre pratique, c’est l’abus, repartit avec fermeté Mlle Borel.

— Ah ! que ces utopistes nous font de mal ! soupira M. Borel. Avec ces grands mots de droit, d’abus, d’exploitation, de privilége, ont-ils assez perverti le sens moral de la classe ouvrière, qui n’en est certes pas plus heureuse !

— Assurément, appuya M. Daubré, si Mlle Borel venait à Lille, elle verrait ce que produit l’augmentation des salaires. Chez nous un bon ouvrier peut gagner aisément quatre francs par jour, et une habile tisseuse deux et trois francs. Il y a peu de chômages. Et que voit-on chez nous ? Une population abâtardie, livrée à la débauche. L’ouvrier est imprévoyant. S’il gagne au delà de ses besoins réels, il dépense son salaire au cabaret, et la famille n’en est que plus pauvre. Quant aux femmes employées dans nos manufactures, elles sont pour la plupart perverties dès l’âge de quinze ans, et leur gain se gaspille en colifichets.

— Monsieur, répondit Mlle Borel, il y a à cela d’au-