tassement indescriptible de vêtements ou plutôt de haillons, d’ustensiles brisés, de débris informes, qu’on n’entrait là que pour passer la nuit. C’était plus triste et plus horrible qu’une prison ; car on se disait : « Dans cet air putride vivent des êtres libres, qui n’ont commis aucun crime, qui ont droit à l’air, à l’espace, au soleil ; c’est la misère seule qui les a relégués dans ce cachot infect. »
En pénétrant là, on avait le cœur serré par l’angoisse, et la poitrine oppressée par une atmosphère méphitique. Un petit enfant s’y trouvait couché. Il dormait. Son visage livide ressemblait à celui d’un vieillard avec ses traits étirés, ses orbites creusées, ses lèvres décolorées. C’était effrayant à voir.
Depuis quand dormait-il ? Depuis le matin, depuis que sa mère était partie pour la fabrique, et maintenant il était cinq heures !
Sa mère lui avait fait prendre un dormant[1] qui devait le plonger dans le sommeil jusqu’au soir.
Cet enfant avait deux ans. Peut-être n’avait-il jamais respiré le grand air. Peut-être jamais ses pauvres petits membres n’avaient-ils senti la chaleur vivifiante du soleil. Et l’on se demandait tout d’abord s’il était bien possible qu’il y eût une mère assez cruelle pour condamner son enfant à ce sommeil, à cette réclusion.
Hélas ! cette femme avait trois autres enfants, et son mari ne revenait au logis que lorsque son gain de la quinzaine était épuisé. Elle emmenait avec elle à la fabrique son fils aîné qui avait huit ans. À eux deux, ils gagnaient un franc cinquante par jour. Avec ces trente sous, elle devait loger, nourrir et vêtir cinq personnes.
- ↑ Potion composée de thériaque, que les ouvrières des manufactures donnent trop souvent à leurs enfants pour les assoupir.