Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/52

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œil humide prit soudain de la fixité et de la profondeur. On l’eût dite inspirée.

À quoi donc travaillait-elle ? La pauvre enfant écrivait un poème, et sur ce poème elle basait ses espérances de fortune.

Elle avait entendu parler cependant des difficultés de parvenir par la littérature, soit à la célébrité, soit à la richesse. Mais ces difficultés, tous les poètes les connaissent, les uns par ouï-dire, les autres par expérience ; et ils conservent quand même la foi au succès. C’est cette foi, ou plutôt cet orgueil sublime qui fait les grandes personnalités.

Madeleine était brave, parce qu’elle avait vingt ans.

Comme elle sentait la vie puissante en elle, elle ne pensait pas que son courage pût faiblir. Enfin, ayant un grand amour de l’art, elle ne soupçonnait rien des dégoûts du travail ; et son imagination se formait sur le monde des artistes les plus chimériques illusions. Ainsi, elle se refusait à croire que les déboires d’amitié, les injustices, les critiques jalouses fussent ordinairement le lot du talent.

Elle ignorait également que, si cette carrière est difficile pour l’homme le plus intrépide, elle est presque impossible à la femme ; car elle a de plus à lutter contre l’ironie masculine et contre le préjugé qui veut limiter ses facultés à l’art de plaire, à la science du ménage.

Élevée par Mlle Borel, qui réclamait hautement pour la femme son droit au développement et à l’exercice complet de son intelligence et de son activité, elle ne tenait aucun compte du préjugé. Elle ne prévoyait pas ce que la société inflige de tortures à quiconque veut lutter contre elle. Si, pour une femme riche, ces luttes peuvent