Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/53

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être indifférentes, pour une femme pauvre, elles sont souvent mortelles. Aussi devant la confiance et la bravoure de cette enfant, on se sentait pris d’une immense pitié.

Elle se disait : En attendant que j’obtienne le succès littéraire, je ferai de la peinture pour gagner ma vie, car elle était peintre aussi. Elle possédait cette mémoire de l’image et de la couleur, cette vivacité d’impressions, ce sentiment énergique de la réalité et cette force créatrice qui font les peintres comme les poëtes.

Cependant était-il certain qu’elle eût du talent ? Assurément elle avait le jet de l’inspiration ; mais c’est là le diamant brut que le travail taille et polit. Il lui manquait cet autre génie plus sage, plus robuste qui, selon Buffon, s’acquiert avec la patience, et qui s’affine au creuset de la critique.

Quelques succès de salon l’avaient enivrée. On avait admiré ses vers et ses tableaux, qui surprenaient en raison de sa jeunesse. Mais comme elle trouvait ses essais encore imparfaits, comme elle sentait en elle tout un monde d’ébauches vagues et d’idées incomplètes, elle pensait : « Si je parviens à débrouiller ce chaos, à condenser mon inspiration, à fixer mon rêve, j’arriverai certainement à produire un jour des chefs-d’œuvre. »

Et, forte de cette espérance, elle croyait pouvoir surmonter toutes les entraves.

Elle travailla jusqu’au jour sans ressentir ni froid, ni fatigue ; car elle éprouvait cette excitation cérébrale, cette fièvre brûlante de la composition qui est bien véritablement le feu sacré.

Cependant, de temps à autre, elle s’arrêtait d’écrire. Son beau corps s’alanguissait ; ses yeux se fermaient à demi ; elle restait immobile et rêveuse ; puis tout à coup