Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/56

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arrivait quelque aventure, mes filles, qui la traitent presque en amie, pourraient s’en trouver compromises. Avec cette imagination, ces idées d’indépendance…

— Vous jugez la femme, ma chère sœur, interrompit Mlle Borel, telle que l’ont faite les préjugés et une éducation fausse, incomplète. Vous ne songez pas à critiquer une femme mariée qui sort seule, n’eût-elle que seize ans.

— Une femme mariée a son mari pour la protéger, pour l’avertir des dangers qu’elle doit craindre.

— C’est cela, comme la femme pauvre a son mari pour la nourrir, répliqua Bathilde. Mais quand le mari ne remplit pas son devoir, et combien le remplissent ? que devient cette femme habituée à la protection et tout à coup privée d’appui ? Si Madeleine était restée dans la condition d’où je l’ai tirée, elle sortirait seule, n’est-ce pas ? et personne ne songerait à la blâmer.

« Or, je ne veux pas faire de Madeleine une de ces femmes s’étiolant dans l’inertie, dans une vie dépendante, futile, pleine de souffrances intimes, souffrances de cœur, souffrances d’imagination, souffrances physiques même, et qui sont le produit de l’oisiveté.

« Le moment est venu où l’éducation et la destinée des femmes doivent se modifier. Dans nos sociétés libres modernes, les femmes ne peuvent plus être tenues en lisière, ni exclusivement enfermées dans le gynécée. Elles doivent avoir leur part dans l’activité sociale, selon la mesure de leurs facultés ; mais elles sont d’abord et avant tout appelées au gouvernement d’elles-mêmes, ce qui est leur vraie, leur unique émancipation.

« Il faut qu’elles sortent seules, agissent seules, pensent et se déterminent seules ; que leur libre arbitre et leur