Page:Gagneur - Le Calvaire des femmes 1.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Comment, pauvre Geneviève, dit le gandin devenu sentimental, tu travailles ? Ah ! que je regrette d’être sans argent !

— J’aime à travailler, reprit simplement Geneviève. Ainsi, ne vous inquiétez pas. D’ailleurs, loin de vous, que deviendrais-je sans occupation ?

— Combien gagnes-tu par jour ? Peux-tu vivre, au moins ?

— Oh ! je suis riche, va ! À la rigueur même, je pourrais faire des économies. Je gagne vingt-cinq sous par jour et trente sous quand l’ouvrage donne ; mais il faut passer une partie de la nuit. Seulement, ajouta-t-elle en tâchant de rire, il y a des jours où forcément c’est fête chômée.

— Avec cela tu peux te nourrir ?

— Oui ; je fais ménage avec Fossette, tu sais, cette jolie ouvrière que tu as rencontrée une fois dans l’escalier. Ah ! quelle bonne fille ! et toujours si gaie, même quand elle n’a pas mangé depuis vingt-quatre heures. Sans doute, nous ne faisons pas bombance ; mais, de temps à autre, quand il faut veiller tard, par exemple, nous nous payons un petit noir.

— Un petit noir ?

— Oui, c’est la petite tasse de café de deux sous que les ouvrières appellent comme cela. »

Dans son égoïsme, Lionel ne devina point les mensonges héroïques de cette enfant. Il ne devina pas des souffrances matérielles d’autant plus horribles qu’elles étaient accompagnées des souffrances du cœur. Lui qui dépensait peut-être cent francs par jour, il crut, parce qu’il avait intérêt à le croire, qu’une pauvre fille pouvait vivre avec un franc. Et il se disait, la conscience calme,