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TATERLEY
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côté de la rue, à côté d’elle. Elle se retourna et le regarda avec une expression si pudique et si joyeuse que, dans l’instant, toute parole semblait bien inutile. Elle venait de penser justement à l’ennui de rentrer seule chez elle et, soudain, l’être qui était tout pour elle venait de se montrer, embellissant tout par sa seule présence. L’univers chantait dans son cœur.

Elle tourna vers lui ses yeux innocents.

— Oui ! j’ai pensé à vous. Ah ! Ella, vous savez ce que je veux dire. Aucun des poètes de la terre entière ne pourrait vous dire tout ce que je veux vous dire ce soir, ce que j’ai envie de vous dire depuis que je vous ai rencontrée. Jamais un peintre n’a peint un visage pareil au vôtre. Aucune musique n’est comparable à celle de votre voix. Vous êtes le monde entier pour moi, mon monde à moi, du moins, ma chère. Quand je me réveille le matin, c’est avec votre pensée que je commence ma journée. Quand je m’endors le soir, je vous vois au moment où mes yeux se ferment. Je vous aime… je vous aime !

Elle ne se détourna pas de Donald avec une modestie affectée, mais, avec un geste charmant, elle passa sa main sous le bras de Donald et posa sa joue si douce contre sa manche, comme en une caresse naturelle.

— Sans doute, je crains bien que vous ne puissiez pas attacher grande importance à ma personne, je ne m’y attends pas, continua-t-il tout hésitant. Je ne suis que votre bon ami et je…

— En êtes-vous bien sûr, Donald ?

Il se tourna vers elle tout d’un coup, la regardant en plein dans les yeux, dans la rue devenue sombre, et il lui dit tout bas, en riant de joie :

— Ma chérie, non, je ne suis sûr de rien, je voudrais… je voudrais pouvoir penser que…

— Cher Donald, dit-elle d’une voix suppliante, vous ne vous moquez pas de moi ?

— Me moquer de vous ? Ma chérie… je…

— Eh bien ! écoutez-moi. Oh ! faut-il le dire, Donald ?

Elle fronçait son petit front, toute perplexe, et regardait Donald avec une flamme brillante au fond de ses yeux.

— Oui, je veux vous entendre, dit-il.

Ils se trouvaient dans une rue tranquille.

Donald s’approcha de la jeune fille, dont les petites mains serrées étaient perdues dans celles de son amoureux et lui ne voyait rien que les yeux de sa bien-aimée.

— Je vous aime, Donald, je vous aime de tout mon cœur et de toute mon âme. Ah ! Donald, jamais je ne serai lasse de vous aimer.

Et elle inclina son visage sur les mains de Donald qu’elle baisa en se cachant le visage, pendant qu’il se penchait sur ses cheveux.

Ils avaient tant de choses à se dire et de si nouvelles ! Et, quand enfin ils arrivèrent dans la rue où demeurait Ella et que Donald dut la quitter, il la prit dans ses bras au milieu de l’ombre amicale et la serra comme si jamais il n’eût voulu se séparer de son amie.

Alors, le besoin de narrer à un confident la surprenante aventure qui venait de lui arriver, saisit Donald, et il s’élança chez lui pour y retrouver Taterley. Caleb s’était endormi, accoudé sur la table, je menton dans ses mains, la tête vacillant à droite et à gauche, quand Donald fit irruption brusquement, les yeux fous.

— Taterley ! s’écria Donald en s’appuyant contre le chambranle, après avoir refermé la porte. Taterley ! je suis l’homme le plus heureux du monde.

Les idées de Caleb avaient été ouvertes par de récentes expériences. Il se leva donc et, faisant face à Donald, il affirma solennellement :