Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/162

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où il pouvait nous sauver, succède à la brise du large ; et les vaisseaux anglais, lancés d’abord vers nous avec vitesse, louvoient maintenant pour rallier la côte.

Une crainte terrible tourmente en ce moment tous les esprits : on redoute que la frégate, jusqu’alors en équilibre, quoique vacillante et asséchée par le reflux, tombe vers le large et rende, par ce malheur, la défense complètement impossible.

Enfin tout est prêt, l’ordre est donné pour opérer un allègement général : on jette à la fois hors du bord tous les canons du gaillard, tous les objets inutiles au service de l’artillerie ; on défonce les pièces d’eau ; leur contenu se répand dans la cale, que nos quatre pompes vident au fur et à mesure ; on vire en même temps sur l’ancre de bossoir, et les charpentiers attaquent à grands coups de hache le pied des mâts chancelants au tangage. Bientôt ces géants des forêts, sapés à la base, privés d’appui et poussés à la mer par les rafales, s’inclinent avec de longs craquements et tombent en soulevant des montagnes d’écume.

Par malheur le grand mât et celui de misaine, déracinés les premiers, arrachent avec une telle violence le mât d’artimon, encore debout, qu’il parcourt, semblable à une irrésistible avalanche, le gaillard d’arrière, tuant et blessant sur son passage plusieurs hommes virant au cabestan, pour aller ensuite se rompre sur les passavants de tribord. L’Hermite est violemment précipité du haut de son banc de quart sur le tillac.

— Virez à force, virez toujours, mes amis, s’écrie-t-il en se relevant avec peine et en cherchant son porte-voix échappé de ses mains meurtries et ensanglantées ; virez encore, enfants !… Je ne suis pas blessé… courage !… La frégate évite, et les Anglais ne l’auront pas.