Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/294

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Une fois que nous eûmes perdu de vue la goélette anglaise, nous nous occupâmes avec plus de soin de nos blessés : leur nombre était considérable, et presque tous l’étaient dangereusement. Quelle tristesse profonde régnait alors à bord de la Perle ! Les désastres terribles que nous avions éprouvés, la mort de Maleroux, la perte plus sensible encore de notre fortune, car, dans l’humanité, l’égoïsme l’emporte toujours, hélas ! sur la sensibilité, nous avaient plongés dans un morne désespoir.

Notre second, Duverger, dont la douleur concentrée devait être terrible, ne pouvait surtout dominer le désespoir qui l’oppressait. Morne, taciturne, le regard sombre et baissé, il ne prononça pas, jusqu’à la fin du jour, une seule parole qui ne fût strictement nécessaire au service.

Ce ne fut qu’à la nuit, au moment de se retirer dans sa cabine, qu’il nous laissa entrevoir, en peu de mots, l’état de son esprit :

— Ah ! messieurs, nous dit-il, quand je pense que pendant cinq jours j’ai été riche, ce que l’on appelle riche, riche à tout jamais, riche pour le reste de mes jours !… C’est à se brûler la cervelle !… Aussi, que je parvienne à jamais obtenir un commandement, et qu’un navire anglais me tombe entre les mains… Oh ! alors !…

Notre second n’acheva pas sa phrase, mais secouant alors vivement sa tête, comme pour en chasser une idée importune, il termina l’entretien par ces paroles, qui me frappèrent en ce qu’elles me parurent résumer admirablement bien son caractère :

— Après tout, il nous reste cinquante chevaux arabes à bord !… J’ai calculé que le prix de leur vente nous rapportera encore un honnête bénéfice ! Ah ! Messieurs, puisque Maleroux devait mourir, pourquoi n’a-t-il pas succombé dès le commencement du combat !… Que Dieu lui pardonne sa faiblesse !